
Le soleil s’est déjà couché. J’accélère l’allure pour rentrer chez moi. Autour de moi, la nuit donne un aspect mystique aux rues et l’atmosphère paraît plus épaisse. Le froid grossit les lueurs des lampadaires et floute les immeubles tandis que les arbres bruissent doucement au vent. Ce dernier, hivernal, me pique le nez.
Je me presse encore. Je dois faire vite : on m’attend. Mes boucles libres rebondissent sur mes épaules au rythme de mes pas et se parent de reflets orangés sous la clarté artificielle. Ombre fantomatique dans un décor fantastique, je suis parfaitement à ma place.
De nouveau, l’heure tardive m’arrache un soupir contrarié. Aller à l’encontre de ma routine millimétrée me frustre. Tournant au coin de la rue, j’essaie encore d’accélérer, mais je ne peux pas faire plus. Tenter d’aller plus vite reviendrait à me mettre à courir. Je sens la tension de la marche dans mes muscles qui se crispent petit à petit sous l’effort et mon souffle qui perd en stabilité. L’exercice physique n’est pas mon fort. Je visualise une dernière fois mon trajet ; bientôt, je passerai devant la pharmacie Destilleuls, avant d’atteindre la lourde porte de mon immeuble. Il ne faut pas que j’oublie de prendre mon courrier en passant. Cette action me permet de souffler. La dernière étape de mon voyage consiste à monter les quatre étages sans ascenseur de mon appartement…
— Salut, ma mignonne.
Super… J’ai vraiment besoin de ça maintenant.
Il est encore là pour m’aborder. Depuis que j’ai emménagé, il essaie de me conter fleurette. C’est certainement une trop jolie expression pour un comportement bien moins élégant. Cette formulation me sert de mécanisme de défense face à un individu que je ne supporte plus et dont je ne peux me défaire. Elle met de la distance entre la situation et moi. La police ne peut rien pour me venir en aide… j’en suis sûre ! Il se contente de me parler et on ne condamne pas les gens pour si peu. Alors, je pique du nez vers mes baskets et l’ignore, en le contournant. Ce sera plus rapide. Il finira par m’insulter, me cracher à la figure qu’en réalité je suis hideuse. Et je pourrai rentrer.
On m’attend.
Bien que l’idée fasse fleurir un sourire sur mes lèvres, je le retiens. L’homme ne doit pas s’imaginer que je suis intéressée.
Or, contrairement à ce qu’il se produit d’habitude, l’homme me bloque le passage en s’interposant devant moi. Son odeur de déodorant – marin – mêlé à la sueur de la journée envahit mes narines tandis qu’il s’impose dans mon espace. Un clic sonore retentit alors qu’il lève vers moi un revolver chargé et vise ma tête.
— Je t’attendais.
Malgré Ma Mort de Onir Ynao, février 2023